TOURNOI

La joute s'annonce rude. Je sais que dans cette antichambre grouillante, ma survie dépend de la qualité de mes échauffements et de mes acquis.

Les muscles tendus, tout à ma tâche concentré, je retiens mon souffle.

Je n'ai pas peur. Ma sortie marquera les esprits.

C'est mon tour ! Mon bras se délie avec grâce et mon épaule soupire d'aise.

J'expédie les salutations d'usage (non latines de nos jours), et j'envoie taboulé et pâté Hénaff au front. Je les vois s'avancer en territoire ennemi, derrière une ligne Maginot d'aluminium. Soudain, sans ménagement, une main experte les retourne et les passe au gril. Le laser fait son oeuvre et mon avant-garde mord l'inox. Derrière moi je sens  trépigner mes concurrents. Compétiteur aguerri, je contiens la pression. Pour gagner du temps, je jette en ordre dispersé, tomates, champignons et autres tubercules obscurs. Ma proximité avec les légumes me sauvera peut-être.

Le chronomètre s'emballe.

Dans l'arène mouvante, je lâche alors rasoirs, conserves, tablettes de chocolat, papier-toilette équitable, vins fins, bonbons acidulés, trucs bio, épices improbables, plats cuisinés et deux petits carnets spiralés aux coloris rassurants.

Temps mort.

Un regard de commisération plus tard je dessine, sac entrouvert, un mouvement félin vers le Grand réceptacle.

Déception.

Ma deuxième offensive légumière ne pouvait souffrir l'écrasement du fond de sac. Un classique à l'évidence. Erreur de débutant. D'où, manutention et stress supplémentaires.

Mais, et c'est là je crois, la marque des champions : je joue le coup du chèque et de la carte d'identité. Arrêts de jeu obligatoires. 

Une fois à l'extérieur, rassemblant mes gains, mes esprits et autres justificatifs d'existence, je me félicite de n'avoir jamais eu d'entraîneurs chevronnés, d'avoir tout appris sur le petit tas roulant de la chaîne alimentaire.

Je remercie donc le tas, père de mes humbles compétences. 

                                                                                     Furax